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jeudi 2 novembre 2017

Une belle histoire de marins et de radioamateurs....

« Si tous les gars du monde... » un film de Christian-Jacques sorti en 1956 re-traçant l’histoire d’un chalutier dont l’équipage est atteint de botulisme lors d’u-ne campagne de pêche. La radio de bord est en panne, mais le patron du chalutier avant d’être également frappé par la bactérie, utilise une radio émettant sur les bandes réservées au radioamateurs. Le message de détresse est capté au Togo, puis relayé à Paris. Une chaîne se construit pour acheminer les médicaments qui permettront de sauver les marins bretons. Elle passera par l’Allemagne avec une escale à Berlin en pleine guerre froide pour arriver en Norvège où l’aviation norvégienne se chargera de parachuter la précieuse cargaison en haute mer.. L’équipage sera sauvé et lors du retour à son port d’attache, il sera accueilli triomphalement…

La première fois que j’ai vu ce film c’était au patronage, un jeudi après-midi. Je devais avoir une dizaine d’années. Quand l’abbé alluma la lumière à la fin du film, il nous parla d’ amitié et d’entraide entre les hommes. J’ai écouté mais d’u-ne oreille distraite car j’étais émerveillé par ces personnages communiquant d’un bout à l’autre de la planète par radio. Ce fut pour moi un déclic, je serai un jour radioamateur. Un rêve de gosse engendré par une histoire imaginaire….Depuis le rêve du gamin que j'étais’est réalisé et il a découvert que parfois, la fiction et la réalité sont très proches. Retour dans le passé.....

Tout commença en mai 1938 à Saint Malo, la ville des corsaires et des terre-neuvas. Le René Moreux (ex-Mouflon), un ancien terre-neuvas, quitte le port pour re-joindre sa zone de pêche des Îles Saint Paul et Amsterdam en passant par le détroit de Gibral-tar, le canal de Suez, Madagascar et la Ré-union. Le chalutier est équipé pour pratiquer la pêche à la langouste et dans ces cales ont été aménagées en chambres froide pour congeler les crustacés. A son bord Emile HoHn de Boer, un curieux personnage. Ce dernier a obtenu du ministre des Colonies d’alors, le socialiste Marius Moutet, la concession , les autorisations nécessaires à la création d’un établissement de pêche à l’île saint Paul et un prêt de l’Etat français de 1,5 million de francs pour financer son projet alors même qu’il était inscrit à la caisse de chômage du 17eme arrondissement de Paris….Mais il est vrai que le ministre voulait absolument relancer une activité à Saint Paul et Amsterdam pour affirmer la souveraineté de la France dans cette zone.



Le « René-Moreux » futur « Ile Bourbon » au Havre en 1938. (Source: http://actus.clicanoo.re) 

Le navire a été armé le 16 avril 1938 et immatriculé à La Réunion. Il est confié au capitaine Philippe d’Armancourt qui connait bien le sud de l’océan Indien. Il a été capitaine de l’Île Saint Paul, un langoustier de la Langouste française pour la desserte de son usine sur l’île en 1930 et 1931. L’équipage est composé d’une vingtaine d’hommes et d’une douzaine de passagers spécialistes en mécanique, congélation ainsi qu’un radio professionnel et d’un médecin.

Après son périple de quatre mois, il restera à quai au port de la Pointe des Ga-lets et sera désarmé le temps que les diverses parties prenantes trouvent un ac-cord et règlent les problèmes techniques, administratifs et financiers. La plupart des membres d’équipages ne souhaitant plus poursuivre, ils demandent le paie-ment de leur solde. Le capitaine d’Armancourt, recrutera un nouvel équipage composé de Réunionnais pour les postes techniques et d’une vingtaine de Malgaches. A la demande des armateurs et négociants réunionnais de la « Société réunionnaise des pêcheries de Saint Paul et Amsterdam » le chalutier sera réarmé le 18 novembre 1938 sous le nom de « Île Bourbon ».

Paul Bour, le nouveau radio du bord, radioamateur malgache FB8AB (ex FB8C), réceptionne le 20 novembre son poste radio à ondes courtes. Ce dernier est très endommagés suite à un voyage mouvementé entre Madagascar et la Réunion. Il effectuera des réparations sommaires mais cette situation ne sera pas sans conséquences pour la suite des événements. Nous ignorons les motivations qui l’ont poussé à s’engager dans cette aventure et à quitter son épouse et ses enfants alors qu’il menait une vie confortable à Tananarive. Est-ce la tenta-tion de découvrir une île déserte, de faire fortune dans le commerce de la langouste ou une autre raison qui lui était personnelle?

Il est neuf heures moins le quart en ce 18 décembre 1938. Edwin R. Gibson, le responsable de la pharmacie du « Navy Yard Dispensary » de Bremerton, dans l’Etat de Washington (USA) est de service. A cette heure tout est calme. Pour passer le temps, Gibson qui est radioamateur (W7DWG), écoute sur son récepteur portable les ondes courtes, pour passer le temps. Il balaie la bande des 40 mètres et en passant sur la fréquence de 7.015 kHz il croit percevoir un faible signal dans le bruit de fond. Il revient se caler sur cette fréquence et tend l’oreille. Il y a bien une émission en télégraphie. Il tend l’oreille et entend un étrange message: « QST de XFB8AN XFB8AB et 48 membres de l’équipage sont échoués ici sur l’île de Saint Paul - Vous serions reconnaissant de prévenir au plus vite Madagascar que nous manquons de charbon à travers du mauvais temps = avons aucune chance de trouver du charbon sur l’île - avons appelé Madagascar mais pas de réponse - Nous pouvons capter faiblement la radiodiffusion de Tananarive vers les 15 heures GMT - Nous vous demandons de nous appeler ici demain et les jours suivants - Serons à l’écoute pour tout message ou information - avons beau-coup d’inquiétude depuis que nous sommes partis - mon récepteur a brûlé et j’utilise maintenant un petit récepteur à 8 canaux - réception difficile - beaucoup de QRN - restons à l’écoute - confirmons sommes le SS Île Bourbon ...»


La station de FB8C en 1935 à Madagascar et la QSL     (Source : http://hamgallery.com/)


Gibson essaya de contacter ce mystérieux XFB8AB, mais il n’entendit aucun signal, même très faible. Il prit la décision de relayer par radio, en utilisant la fréquence d’alerte du commandement du Troisième District Naval, le message de détresse pour informer le bureau des Opérations Navales de Washington D.C. Il contacta également par téléphone les Gardes-côtes de Seattle (WA). L’in-formation fut également adressée au consulat Français de San Francisco (CA) via la station du réseau des radioamateurs de l’US Army. W7CQI.

Du côté de l’Île de Saint Paul, Paul Bour ne savait pas si son message avait été capté. La patience est une qualité indispensable chez le radioamateur. Paul Bour n’en manqua pas. Heure après heure, il reprenait sa pioche (2) et répétait son message. Le lendemain matin, à 06 heures 20, heure du Pacifique, Il capta la première réponse à cette longue série d’appels. Elle provenait de Neil Taylor, W6MUS, un radioamateur californien de Coronado Beach (CA) à plus de 17.000 km de l’Île St Paul.

C’était la première liaison que Paul Bour réalisait depuis 33 jours. Il répéta les mésaventures de l’Ile Bourbon à son correspondant. Deux autres opérateurs captèrent cet échange, Irving Astman, W6OMR de Donner’s Summit proche de Norden (CA) et Erwin R. Gibson, W7DWG qui avait entendu en premier l’appel. Irving Astman adressa un télégramme aux Gardes-côtes, au consulat de France à San Francisco (CA) et à la compagnie maritime dont dépendait l’Ile Bourbon.

       
Dans le même temps, le Département naval de Washington avait retransmis l’information au le croiseur Omaha à l’attention du Contre-amiral Henry E. Lackey qui commandait le Squadron 40-T en Méditerranée.. Ce dernier avait instruction de relayer le message au autorités françaises les plus proches. Le message arriva à Paris au Ministère des Colonies qui ordonna immédiatement à ce qu’un navire porte assistance à l’Île Bourbon.

Quarante-huit vies furent ainsi sauvées par la volonté et la patience, d’un radioamateur français, Paul Bour, par le dévouement et l’initiative de trois américains, également radioamateurs, situés à 17.000 km de l’événement, qui permirent la mise en place d’un opération de secours par les autorités françaises. Une preuve s’il en est que la réalité dépasse parfois la fiction.

Richard
F4CZV
73

Documentation de référence:
 QST de 02/1939 p15
 Chicago Dailly Tribune du 21/12/1938
 Radio de 03/1939 p58

(1) Le lecteur peut s’interroger sur la présence d’un X devant l’indicatif FB8AB. A cette époque cela signifiait que la station était à bord d’un navire. Aujourd’hui cette information se traduirait par l’utilisation d’un indicatif FB8AB/MM, ces deux dernières lettres signifiant «maritime mobile».
(2) La pioche, dans le langage radio est le nom donné au manipulateur, ou clé télégraphique, appareil permettant de générer des signaux en télégraphie.

8 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour ce récit très touchant.
    Amitiés
    Philippe (F4DZA)

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    1. Bonjour Philippe
      Merci pour votre commentaire. A bientôt sur l'air ou sur le blog. Amitiés.
      73 Richard

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  2. Merci,Très belle aventure, en effet ça rappelle le film de Christian-Jacques,avec cette démonstration du rôle ins*dispensable des radioamateurs face à ce type de situation , de moyens rudimentaires peuvent sauver des vies quand les équipements professionnels font défaut,

    Merci encore , 73 de 7X2YM

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    1. Bonjour Yacine,
      Merci pour votre commentaire. A bientôt sur l'air ou sur le blog. Amitiés.
      73. Richard

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  3. Il y a un autre film celui-là es tune ficton américaine avec Telly Savalas le titre est Terreur à bord le titre en Anglais est The French Atlantic Affair,
    ça parle d'une prise d'otage à bord d'un paquebot et un petit garçon radioamateur qui reste le seul lien pour sauver le navire,

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    1. Bonjour Yacine
      Merci pour l'information, je ne connaissais pas ce film. Je vais essayer de le trouver pour le regarder.
      Amitiés. 73. Richard

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  4. Bonjour, merci pour nous avoir relaté ces faits. En 1956/57 j'avais 10/11 ans, mon père m'avait déja fait écouter sur le BCL famillial qui "couvrait" le 40m, à l'époque il y avait le morse(la cw) et l'am. J'avais repéré l'endroit de l'aiguille sur le cadran, tendu un trentaine de m de fil pour améliorer l'écoute, le soir, devoirs faits j'écoutais, le complément du vaccin, ce fut bien sûr : SI TOUS LES GARS DU MONDE.
    Ensuite, j'ai fait un apprentissage de radio-électricien en 1960, en 1972 j'ai été embauché chez un fabricant de radio et tv SCHNEIDER pour le citer et voilà j'ai 71 ans toujours mordu de radio d'électronique, informatique, programmation ça a commencé par le Basic, ensuite du C pour ce qui est de LINUX et je joue toujours.
    Heureux OM'S que nous sommes, quel plaisir que de construire, essayer, modifier, et trafiquer avec ses constructions.
    Profitez tous, bonnes réalisations, bonnes écoutes et QSO pour tous.
    73 très QRO F1EIE Michel.

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    1. Bonjour Michel,
      Merci pour votre commentaire. Nous avons eu la chance de connaître une sacrée évolution (révolution ?) dans notre passion qu'est la radio. Mais cela est valable pour le reste aussi. Nous sommes passés de la plume "Sergent-Major" par le stylo bille puis l'ordinateur et enfin le portable. Que ne fait-on pas avec un téléphone aujourd'hui? Continuons à expérimenter, à découvrir avec nos yeux d'enfants (nous sommes toujours jeune au moins d'esprit) même si les spires au PA augmentent....Bon trafic et à bientôt sur l'air ou sur le blog.
      Amitiés. 73 Richard.

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